Si vous n’avez pas lu la première partie, c’est ici que cela se passe…

Je me décide à interpeller Magnum qui se trouve de l’autre côté de la Ferrari rouge qui nous sépare. Pas de doute, il s’agit bien de Thomas Magnum, l’illusion est parfaite.

– Euh bonjour… J’aimerais vous poser une question mais je connais déjà la réponse…

Un large sourire se dessine sur le visage moustachu qui me fait face.

– Je me doute de ta question et tu n’as pas besoin de me la poser : je te confirme que je ne suis pas Tom Selleck mais Thomas Magnum… Tu n’es pas le premier à me poser cette question…

Magnum marque une pause et me désigne la Ferrari.

– Regarde cette Ferrari, tu peux la toucher, l’ausculter, elle est bien réelle, c’est bien la mienne, du moins celle que l’on me prête…

Magnum tourne la tête et pointe du doigt une silhouette à une centaine de mètres, côté océan.

– Regarde de ce côté… Tu vois ? Tu peux même observer Higgins qui fait son entrainement de Tai Chi…

Cette fine petite silhouette gesticulant devant l’océan finit de me convaincre et consolide mon expérimentation hypnotique. Je plonge pleinement et sans retenue dans l’expérience, oubliant totalement mon corps et mes ultimes connexions au “monde normal”.

Magnum semble ravi de la tournure des évènements, se dirige vers moi et me tend un porte-clés qui arbore le logo Ferrari.

– Tiens, je te laisse conduire, nous allons faire une petite virée, il y a un endroit que je tiens tout particulièrement à te montrer.

Je suis surpris de cette proposition et ne me lasse pas du réalisme des choses. Je réalise que les sons, les voix, sont tout aussi splendides que les couleurs et les formes. La partie de moi qui analyse l’expérience est émerveillée du degré d’immersion que je subis. Je pourrais dessiner et croquer avec précision chaque détail de cette scène inattendue.

Une voix étrangère me dérange dans mon expérience. Une voix ferme et interrogative, une voix qui vient de l’extérieur, d’une zone que j’avais presque oubliée.

– Sébastien, comment te sens-tu ? Es-tu toujours avec Magnum ?

Ma tête bouge instantanément vers Pierre et une vague de conscience enflamme mon cerveau. Cette onde de réalité contamine une bonne proportion de mes neurones endormis et je prends conscience de ma posture ainsi que de mes pieds positionnés à plat sur le sol.

Magnum et sa Ferrari se brouillent et s’immobilisent.

– Euh oui, je suis toujours avec lui, du moins je crois…

Pierre me demande des précisions que je m’empresse de lui livrer. Je décris mon expérience et n’ai aucune difficulté à m’exprimer. Je n’ai qu’une envie : basculer de nouveau, appuyer sur “play” pour continuer et replonger.

Pierre me donne son feu vert et c’est avec un certain soulagement que ma vision périphérique se trouble de nouveau… Ma réalité alternative repasse au premier plan.

Je ne souhaite pas conduire cette Ferrari, je n’en ai aucune envie. Magnum insiste mais je m’installe à la place du passager en guise de réaction.

La Ferrari roule à vive allure, le vent chaud me balaie le visage et les cheveux, la sensation est incroyable… Magnum et moi n’échangeons aucun mot. Je ne sais pas précisément à quelle vitesse nous roulons mais le rugissement de la Ferrari me fait réaliser que le bolide va vite, extrêmement vite.

C’est stupide mais j’entends le générique de Magnum alors que la Ferrari file vers sa destination. Une partie de moi trouve cela ridicule alors qu’une autre partie jubile !

Plusieurs unités de temps passent et l’instant suivant tranche complètement : je me téléporte sur le tabouret d’un bar en bord de mer. Magnum est assis à côté de moi, à ma droite, nous sirotons un cocktail coloré et fort en alcool. Je m’amuse avec les deux pailles en plastique orange glissées dans mon verre.

Je suis en pleine discussion avec Magnum mais aucun son ne sort de nos bouches respectives ; c’est comme si nous “faisions semblant”. L’environnement est bruyant et encombré, d’autres clients sont là et profitent de l’endroit. Parmi eux je remarque une superbe jeune-femme assise au bar à quelques mètres nous, puis mon intérêt se repositionne sur cette conversation pantomimique.

De nouveau, la voix de Pierre altère mon expérience. Cette fois Pierre est instantanément intégré à mon environnement : je le visualise assis à ma gauche, savourant un cocktail bleu électrique.

– Comment cela se passe Sébastien ? Tu es où ?

– Je suis au bar avec toi et Magnum.

– OK, peux-tu me décrire ce que tu vois autour de toi ?

– Je vois des personnes assises buvant des cocktails, l’air est chaud et humide, je distingue et j’entends l’océan par certaines ouvertures.

– OK parfait, tu te débrouilles vraiment bien ! J’aimerais que tu sois attentif à la personne la plus proche de toi, à part Magnum.

Je pense immédiatement à le jeune-femme que j’ai remarquée tout à l’heure.

– Il y a une jeune-femme, de ton côté, sur la gauche.

– OK très bien, peux-tu me la décrire s’il te plait ?

– Elle est très jolie, cheveux décolorés par le soleil, typée, le teint mat, les yeux clairs, porte plusieurs bracelets colorés aux poignets, un chemisier blanc et un short en tissu noir. Elle nous observe alors que nous discutons.

– OK, tu es très précis dans tes descriptions, c’est bien, tu peux être fier de toi.

Pierre marque une pause et poursuit.

– Maintenant écoute moi bien Sébastien, continue d’observer cette jeune-femme et écoute ce qu’elle va te dire. Je suis curieux de savoir comment elle va s’adresser à toi.

Mon attention se fixe sur la jeune-femme puis se fige. Je repense à l’exercice et une partie de moi comprend la direction que veut me faire prendre Pierre. La présupposition est grossière.

La bouche de la jeune-femme se tord d’une horrible façon. La gravité lui déforme les traits du visage qui se transforme en une obscène boule de cire, une caricature de visage. Je veux reprendre ma conversation muette avec Magnum mais quelque chose me force à fixer cette boule de chair ridicule, fondante comme un grotesque bonhomme de neige en plein soleil.

J’ai de l’amertume plein la tête et j’aimerais sortir de l’expérience à défaut de pouvoir la poursuivre à ma guise…

Pierre s’inquiète de mes ressentis et m’interroge :

– La jeune-femme te parle ?

Mon ton est ferme et je sais que le volume de ma voix est monté :

– NON, elle ne peut pas, son visage se liquéfie…

– Son visage se liquéfie ? Que pourrais-tu faire pour que cette jeune-femme te parle ?

– Je ne peux rien faire pour elle, je veux continuer de discuter avec Magnum.

À cette étape de l’exercice, Pierre comprend que je suis incapable de faire un pas de plus dans cette direction. Il décide de me recentrer après m’avoir laissé tranquille quelques instants.

– OK très bien. Alors tourne la tête vers Magnum et finis ta conversation… Dans quelques instants, quand tu auras fini, tu pourras juste prendre conscience de la manière dont tu es positionné sur cette chaise puis revenir à ton rythme dans l’ici et le maintenant, avec une belle énergie pour m’accompagner et me servir de guide le temps d’un exercice…

À l’issue de ce voyage, j’ai essayé plusieurs fois de construire un état d’hypnose aussi immersif, quitte à réutiliser le “thème Magnum” ; je n’ai pas réussi à ce jour…

Même si je vis parfois des expériences de qualité équivalente via des rêves lucides, je ne parviens pas encore à le faire via des séances d’auto-hypnose.

Ce n’est pas important, je suis patient…