Il y a quelques mois, nous avons accueilli un petit chien à la maison, il s’agit d’une adorable petite sealyham terrier qui possède tous les pouvoirs magiques d’un jeune chiot, notamment celui de pousser les êtres humains à lui gratter le ventre, lui caresser la tête avec un sourire béat ou simplement la prendre sur leurs genoux… Outre ses différentes facultés, Pistache (et oui c’est l’année des “P”…) fait preuve d’une obsession qui s’exprime très régulièrement : les pieds de ses amis bipèdes.

Ce trouble obsessionnel se traduit par un premier repérage olfactif, s’enchaine par des petits mordillements du bout de l’heureux orteil sélectionné et se finit par de franches morsures à répétitions, délivrées à un rythme de plus en plus soutenu, vigoroso. Fort heureusement, un simple “STOP !” formulé avec le bon volume suffit à interrompre cette procédure de dissection improvisée.

Il y a quinze jours, je reçois une jeune femme pour une deuxième séance d’hypnose. Sophie est un très bon sujet et la progression mesurée après sa première session est tout à fait encourageante. Son objectif initial ? Mieux dormir, bénéficier d’un sommeil réparateur, ralentir ce “petit vélo” qui tourne parfois trop vite durant la nuit et nourrit ses insomnies.

Sophie est assise en face de moi et me dépeint ses ressentis avec une sincérité très enfantine. Après un bref débriefing, nous décidons de dédier cette deuxième séance à une consolidation du travail déjà entrepris ; intérieurement, je décide de basculer sur une séance plus dynamique, avec une présence inconsciente plus franche. J’ignorais que ces résolutions seraient comblées au delà de mes espérances…

Cette deuxième séance démarre très rapidement et je ne m’encombre pas de subtilités inutiles ou chronophages car je sais que Sophie est douée et en confiance. Après une simple catalepsie de la main, un premier approfondissement façonne un bon état d’hypnose et je devine la conscience de Sophie qui glisse sereinement de côté ; sa respiration s’accélère pour finalement se stabiliser, ses paupières oublient de rester ouvertes sans qu’aucune suggestion ne soit formulée.

Je pars ensuite sur une phase de questionnement neutre afin de forcer Sophie à s’exprimer verbalement. J’écoute, je mémorise ses réponses, puis je laisse cette exploration intérieure s’écrire au fil des couleurs de ses mots.

Quelques minutes passent puis j’entends comme un sac de pommes de terre qu’on aurait laissé rouler jusqu’au bas des escaliers qui relient le cabinet à mon espace de vie. J’habite un chalet en lisière de bois, construit en paliers afin d’épouser la pente du terrain. Mon habitation principale se situe au niveau du palier le plus élevé, mon cabinet se situe juste en dessous.

Jusque là, ces escaliers étaient bien trop raides pour que Pistache puisse les emprunter mais je comprends qu’une étape a été franchie et que la petite chienne a pris l’initiative de se laisser glisser jusqu’en bas, quitte à ne pas pouvoir remonter…

Habituellement, je ferme la porte de séparation située en bas des escaliers ; aujourd’hui, j’ai bien évidemment oublié de prendre cette précaution.

Je réalise que Pistache va pouvoir s’inviter à cette séance d’hypnose et les petits pas que j’entends dans le couloir me confirment cette théorie.

Après un bref silence, j’entrevois un museau blanc et deux petites billes noires brillantes et curieuses qui dépassent du rideau dans le couloir.

Je sais que je peux tout à fait gérer cet imprévu, il me suffit de me lever, de me saisir de Pistache, de remonter déposer mon colis puis de redescendre sans oublier de fermer la porte de séparation. Tout cela doit se faire très rapidement, une vingtaine de secondes sont suffisantes, Sophie n’en aura probablement pas conscience et je peux même “sécuriser” cette feuille de route en bricolant une suggestion de silence.

Problème : mes pieds sont collés au sol et mes jambes ne semblent pas vouloir répondre à mes ordres conscients insistants. Les seuls effets que je déclenche sont de ridicules petits spasmes, incapables de me faire quitter ma chaise. Je comprends que je vais devoir faire face à une situation embarrassante…

Pistache aperçoit Sophie, cette jeune femme assise, qui babille les yeux fermés avec une main qui dessine des signaux étranges sur un tableau noir imaginaire. Les yeux du petit chien verrouillent les pieds offerts de Sophie, que cette dernière a pris soin de libérer de leurs chaussures, “pour être plus à l’aise”.

Mes tentatives pour me décoller les pieds sont vaines, c’est comme si une partie de moi avait décidé de me faire un pied de nez et je sais par expérience que mon salut ne viendra qu’en oubliant ces jambes temporairement déconnectées.

Ces quelques minutes n’ont pas interrompu la partie de moi qui questionne Sophie : elle continue de me décrire d’une voix enfantine son expérience et sa progression intérieure. Une voix intestine me soumet alors une idée stupide que je décide néanmoins de suivre.

– Sophie, vous me décrivez avec beaucoup de précision cet endroit dans lequel vous vous trouvez, il me semble bien agréable n’est-ce pas ?

– Oui très, j’adore !

– Ressentez-vous comme l’ensemble de vos sens sont bien plus efficaces dans cette réalité hypnotique ?

– Oui effectivement, je ressens plein de choses différentes.

– Ressentez-vous cette partie inconsciente qui vous accompagne ? Vous savez, celle qui a entrepris d’améliorer la qualité de vos nuits en mobilisant tout un tas de ressources que sans doute vous aviez oubliées consciemment ?

– Je ne ressens pas spécialement mon inconscient même si je devine que c’est lui qui fait bouger ma main en ce moment.

– OK parfait. Vous pouvez continuer d’oublier la manière dont cette main évolue. Une autre partie inconsciente va se manifester, une partie encore plus intéressante. Dans quelle zone de votre corps pensez-vous que cette partie inconsciente va choisir de se manifester ? La zone basse, vos pieds par exemple, ou plutôt le haut de votre corps ?

Le visage de Sophie affiche une moue paresseuse. Ses paupières clignotent comme les ailes d’un papillons.

– … Je ne sais pas, les pieds oui peut-être… Je ne sais pas trop.

Pistache continue sa progression et quelques centimètres la séparent maintenant de son objectif du moment. Son regard oscille entre mon visage et sa cible, un peu comme si elle cherchait mon consentement, que mon inaction apparente lui offre sur un plateau !

– OK très bien, alors peut-être que cette partie inconsciente va décider de vous surprendre. J’aimerais que vous soyez attentive à la façon dont elle va se manifester, accueillez cette surprise inconsciente sans chercher à la comprendre. Il vaut mieux se laisser aller à ressentir ses messages inconscients plutôt que de mal les interpréter n’est-ce pas ?

– …

Qui ne dit mot consent, Pistache s’octroie le droit de passer à l’action et son petit museau inspecte avec précaution ces pieds inconnus délicieusement offerts…

À l’instant même ou je me pose la question de savoir comment les choses vont évoluer, je redécouvre ma jambe droite qui émerge mollement de son anesthésie passagère. J’estime avoir suffisamment de détente pour attraper une patte arrière de Pistache et retenir ses élans anthropophages ; avec un peu de chance, ma deuxième jambe émergera à temps.

Mon corps bascule en avant et ma main droite agrippe fermement la patte arrière du petit démon à quatre pattes dont les oreilles traduisent instantanément la surprise, l’incompréhension et la déception…

La suite de mes aventures s’enchaine aussi rapidement que silencieusement : cette poussée d’adrénaline me permet de finaliser la capture de cette Pistache indésirable, de formuler une suggestion de temporisation, de déplacer mon gibier en lieu sûr puis de revenir m’installer en face de Sophie, sagement ensuquée dans sa transe.

Depuis cette séance, je me surprends souvent à imaginer des scenarii dans lesquels je suis contraint “d’utiliser” Pistache sur une durée plus longue, l’issue est rarement heureuse et je suis plutôt rassuré d’avoir pu évacuer ce petit intrus poilu à temps…

Le reste de la séance de déroule sereinement, sans transe partielle impromptue ou visiteur surprise. Sophie ne fait aucune allusion à Pistache à part peut-être “des petits fourmillements” au niveau des pieds.

Vous êtes praticien en hypnose et souhaitez éprouver vos capacités d’adaptation ? Je vous loue Pistache à la journée.