
Martin vient d’avoir douze ans et a des problèmes de concentration ; j’ai eu sa maman au téléphone fin mars et nous avons convenu d’un premier rendez-vous.
Depuis son entrée au lycée, le jeune garçon a des difficultés pour se concentrer, son attention s’évanouit après quelques minutes, poussée de côté par une irrésistible envie de bouger, de gesticuler. Ce comportement pose problème à Martin, surtout à l’école.
Aucun accompagnement n’a été envisagé jusqu’à maintenant car Martin n’était pas volontaire, voire était totalement réfractaire. Il a changé d’avis “après avoir vu un truc cool sur l’hypnose à la télé”. Comme quoi, la télévision ne dit pas que des âneries…
Je rencontre Martin et sa maman un vendredi soir. Le temps est pluvieux et le printemps tarde à s’annoncer.
Aussitôt arrivés, mes deux consultants s’installent sur la banquette en face de moi. Martin ne dit pas un mot tandis que sa maman part dans un déluge d’explications associées à une belle ponctuation non verbale. Je n’apprends rien que je ne sache déjà.
Comme me l’a expliqué sa maman au téléphone :
“C’est plus fort que lui, il faut qu’il bouge.”
Cette formulation tombe à pic, je pourrais utiliser ses mots pour décrire une communication inconsciente sous hypnose. Je rassemble mes idées puis reformule mon point de vue pour mes deux interlocuteurs qui m’écoutent sagement sans m’interrompre… Martin est visiblement déjà à moitié barré, il a cessé de gesticuler et est comme phagocyté par la banquette.
Quelques questions et échanges plus tard, je mets fin à ce premier contact et propose de faire une première séance formelle avec Martin, sans l’oeil scrutateur de sa maman…
Je rencontre Martin à quatre reprises, quatre longues séances qui ont un gros point commun : la qualité de l’état hypnotique. Quelle que soit l’induction utilisée, Martin part très rapidement en transe, une transe profonde, stuporeuse, compliquée à exploiter telle quelle. Martin est peu réceptif aux suggestions proposées et sa physiologie décrit un état qui taquine le sommeil.
Aller rapidement au plus loin puis prendre son temps pour revenir : c’est le cheminement inconscient que semble adopter Martin quand il part en hypnose. Une sorte de “Binge-hypnosis” si on peut dire…
Je dois ajuster cet état d’hypnose pour rendre la transe exploitable ; réinjecter un peu de conscience pour qu’un échange puisse avoir lieu.
Les phénomènes hypnotiques que je parviens finalement à déclencher sont quasi nuls mais je pressens tout de même que Martin est capable de prononcer quelques mots alors que le reste de son corps demeure dans un profond sommeil hypnotique.
Suggérer une sortie de l’état d’hypnose afin de pouvoir en tirer profit.
Par trois fois, c’est pendant ce lent retour vers l’ici et le maintenant que je mets en place notre phase de travail. Je laisse rapidement tomber les signalings alambiqués ou ambigus car Martin s’exprime parfaitement bien en état de veille et le fait encore mieux sous hypnose, après plusieurs longues minutes de préparation. Ses descriptions sont précises et diablement pertinentes pour un enfant de douze ans. Je suis bluffé.
Après trois séances, de timides progrès sont constatés, aussi bien de la part de Martin que de ses parents. Cette lente évolution me fait plaisir mais ne me satisfait pas, je suis déçu des faibles changements mesurés.
Au fil de nos explorations et de mes questionnements, Martin me peint des lieus imaginaires et des représentations inconscientes très imagés. Les personnages évoqués sont tous originaux et rigoureusement dessinés : chaque détail semble avoir son importance.
Un point commun relient tous ces personnages : aucun ne parle, aucune communication verbale n’est établie avec leur créateur. Martin me décrit des regards, des postures, voire des gestes, mais tous ces comédiens oniriques sont muets ou ne souhaitent pas prendre la parole. Les hallucinations hypnotiques que vit Martin sont pourtant ultra complètes, aussi bien sur le plan visuel que sonore, j’en ai la confirmation au fil de nos échanges.
Notre quatrième rencontre ne déclenchera rien de vraiment probant si je ne change pas de méthode. Les sessions de tourisme hypnotique à répétition sont rarement génératrices de gros changements, c’est du moins ma croyance empirique.
Du changement pour créer du changement.
Afin de convoquer la bonne partie inconsciente de Martin et initier un vrai mouvement, je dois créer de la surprise tout en conservant une bonne qualité de transe.
“Ne pas faire de plan et laisser les choses venir.”
J’adhère pleinement à cette recommandation mais j’ai du mal à ne pas régulièrement projeter ce quatrième rendez-vous. La date approche et aucune idée intéressante ne me vient…
Dix jours se sont écoulés et cette quatrième et ultime rencontre est arrivée. Martin est ravi d’être là et déclenche une transe équivalente aux précédentes. Le fait d’avoir initié la transe debout ne change rien à l’état hypnotique initial de Martin qui s’effondre dans mes bras à la seule prononciation d’un mot connoté qui raisonne comme un ancrage : “sommeil”.
Plusieurs poignées de suggestions plus tard, Martin parvient à prononcer quelques mots alors que je l’ai confortablement assis dans mon fauteuil club.
Aucun changement jusque là. Martin suit sagement son protocole hypnotique intérieur et je déroule laborieusement le mien en incorporant ça et là quelques “modestes nouveautés”.
Martin est en attente consciente et inconsciente. Il connait le déroulement de nos séances et je suis aux antipodes du fameux effet de surprise que je souhaite provoquer ; à ce moment, je réalise que son état est sans doute très proche de l’éveil, comme si sa physiologie s’était habituée au processus et avait altéré l’inertie hypnotique, à l’image d’une prise d’antibiotiques trop régulière qui devient inefficace…
Et puis une idée me vient.