
Si vous n’avez pas lu la première partie, c’est ici que cela se passe…
Si les personnages mis en scène par l’inconscient de Martin ne peuvent pas communiquer verbalement, peut-être sauront-ils écrire.
Martin me décrit l’intervention d’un acteur singulier, symbolisant une partie de lui qui gère sa concentration. Ce personnage ressemble à Sherlock Holmes, se nomme Simon et se contente d’accompagner Martin, sans un mot, profitant avec lui d’une balade dans un paysage semi-urbain parsemé de grands arbres à feuilles bleues qui chantonnent. Plusieurs autres individus sont présents mais aucun ne prête vraiment attention à Martin et Simon.
Je sais qu’en état d’hypnose, Martin est capable de me dépeindre des milliards de choses avec une précision chirurgicale, mais je ne souhaite pas m’embarquer dans une nouvelle balade onirique qui ne servirait pas à grand-chose sinon passer un moment agréable…
Je suggère une nouvelle fois à Martin de communiquer avec Simon :
– Martin, sais-tu si Simon possède une montre ?
La réponse de Martin est immédiate :
– Oui, il a une grosse montre dorée dans la poche de son veston, elle est reliée à une sorte de fil brillant jusqu’à son pantalon. Je peux l’entendre, elle fait un drôle de bruit.
– OK cool. Peux-tu lui demander l’heure s’il te plait ?
Quelques secondes passent puis Martin m’explique :
– Simon a sorti sa montre mais je ne peux pas lire l’heure, les aiguilles bougent sans arrêt avec des petits rayons lumineux qui m’éblouissent.
– OK, alors dis à Simon qu’il peut ranger sa montre s’il te plaît.
Je laisse passer quelques instants.
– Martin, aimerais-tu faire une pause avec Simon ? Boire quelque-chose ?
Le visage de Martin fait une grimace et il finit par me répondre :
– Je ne suis pas sûr que Simon soit d’accord mais j’aimerais bien boire un lait de papaye à la fraise !
– Tu as raison, c’est délicieux le lait de papaye à la fraise… Et en plus c’est très bon pour la concentration ! Tu le savais ?
– Ah non… C’est juste que j’ai envie d’un lait de papaye à la fraise, avec de la menthe aussi.
– Certainement que tu peux trouver un endroit pas loin pour déguster un bon lait de papaye à la fraise avec de la menthe, n’est-ce-pas ?
Plusieurs minutes passent puis le corps de Martin adopte une posture moins avachie. Sa bouche fait un petit “o” comme si une paille y était insérée.
– Où es-tu Martin ?
– Je bois un lait de papaye à la fraise avec Simon, à la terrasse d’un magasin de jeux-vidéo, sous les feuilles bleues d’un gros arbre.
– Et c’est bon ?
– Oui j’adore ! Mais je crois que Simon préfère le jus d’orange, il fait une drôle de tête et ses cheveux bougent dans tous les sens… Les arbres chantent fort dis-donc…
– C’est normal que tu entendes mieux les arbres Martin ; tu es super bien concentré grâce au lait de papaye et tu peux entendre plein de nouveaux sons…
Martin ne réagit pas.
– Si les arbres chantent un peu fort tu peux facilement diminuer leur volume grâce à la télécommande que tu as dans la poche.
Martin ne me répond pas mais semble profiter paisiblement de son lait de papaye.
– Martin, peux-tu demander à Simon qu’il te prête son calepin ? Tu sais, celui ou il note des choses quand il fait des enquêtes…
– Ah oui je sais, il est dans sa poche intérieure, il me l’a déjà montré, il a une couverture rouge toute molle qui ne sent pas bon du tout.
– OK ! Peux-tu chercher la page qui parle de la recette du lait de papaye à la fraise avec de la menthe ?
Martin ne semble pas surpris de ma requête, son visage passe d’une moue à l’autre et ses deux mains bougent sporadiquement.
– C’est pas super pratique de tourner les pages du carnet : il est attaché à la veste de Simon avec du fil électrique orange…
– Peut-être peux-tu demander de l’aide à Simon, il ne faudrait pas que tu abimes sa veste n’est-ce-pas ?
Martin paraît un peu énervé et me répond en ouvrant les yeux, sans me regarder. Sa respiration s’est accélérée.
– Mais moi je ne sais pas où est la recette du lait de papaye, il est trop gros ce carnet ! Et puis il y a de l’électricité dans les pages, ça me pique avec des éclairs bleus à chaque fois que je touche le papier !
(plusieurs de ses doigts sont parcourus de petits spasmes…)
Je saisis la main gauche de Martin en expliquant :
– Heureusement que tu as des gants en caoutchouc qui te protègent les mains, tu ressens uniquement quelques chatouilles n’est-ce-pas ?
Martin ne me répond pas mais ses paupières se referment alors que sa respiration reprend un rythme normal. Je reprends :
– Demande à Simon de te trouver la bonne page, c’est son carnet après tout !
Plusieurs longues secondes s’écoulent puis le visage de Martin s’illumine :
– Ça y est ! Simon a trouvé la page, c’est plein de petits dessins marrons rigolos qui s’allument comme une guirlande !
Je profite de cette nouvelle étape pour glisser un feutre dans la main droite de Martin tout en poursuivant :
– C’est génial ça ! Tiens, je te prête un feutre, tu vas pouvoir prendre des notes comme Simon. Et grâce au lait de papaye tu vas rester bien concentré même si tu as un peu sommeil.
Dès que je positionne le feutre dans la main de Martin, celui-ci ouvre les yeux comme momentanément surpris du contact de cet objet réel s’immisçant dans son aventure hypnotique. Le mot “sommeil” dissipe néanmoins rapidement cette bouffée de conscience aventureuse…
Je place un petit cahier sur les genoux de Martin et repositionne précautionneusement le feutre accroché à sa main droite.
– Martin, maintenant j’aimerais que tu écrives ce que tu vois dans le carnet de Simon, sur cette page qui explique comment cuisiner un bon lait de papaye à la fraise avec un peu de menthe, j’aimerais que tu reproduises ces petits dessins marrons rigolos qui génèrent une bonne concentration.
– Je ne sais pas si je peux faire ça…
– Tu peux demander à Simon de t’aider, tu peux lui demander de guider cette main, un peu comme si c’était lui qui dessinait grâce à cette main et ce feutre.
– …
– Quand tu ressentiras des petits fourmillements dans cette main, tu pourras les oublier, faire comme s’ils n’existent pas. Fais confiance à Simon, laisse-le dessiner ces petits dessins rigolos qui s’allument comme une guirlande.
Martin semble se concentrer et jette plusieurs coups d’oeil à cette main droite qu’il est censé ignorer. Des faibles micro-mouvements commencent à se manifester au niveau de certains doigts, comme si une série de fils invisibles se tendaient alternativement. J’ai peur que le feutre glisse mais il semble bien accroché.
– OK Martin, tu te débrouilles vraiment bien, continue comme cela.
– Mes doigts bougent tout seuls, j’ai l’impression que Simon actionne de l’électricité dans mes doigts… Il a branché le fil orange du carnet sur mon poignet.
– Et ça te fait quoi de sentir cette électricité ?
– Ça fait drôle…
La main de Martin commence à tracer des contours, par petits mouvements incertains. Le regard de Martin est fixé sur son poignet droit. La séance prend une tournure nouvelle et je suis intérieurement très satisfait.
Comme un artiste élabore sa toile, la main de Martin dessine des formes par petites touches, alternant phase d’inspiration et phase d’exécution. Certains embryons de lettres se réunissent et créent des syllabes, certaines formes fusionnent pour créer d’autres formes plus complexes. La vie se diffuse doucement et patiemment sur le papier, au rythme des impulsions inconscientes, sous nos deux paires d’yeux admiratifs.
De longues minutes se dissolvent sans que je ne prononce un seul mot, sans que Martin ne fasse un bruit. Ses paupières sont à moitié fermées et le processus qui s’exécute sous mes yeux est d’une merveilleuse fluidité.
La main droite de Martin se fige un moment, le feutre glisse et roule en silence sur le sol, les yeux de Martin s’ouvrent et une larme perle au coin de son oeil gauche. Martin me cherche du regard mais ne me voit pas. Je sers doucement sa main gauche en prononçant les quelques formules de réveil qui me passent par la tête puis la vision de Martin se connecte enfin.
Depuis cette quatrième session, je n’ai pas revu Martin. Trois semaines se sont écoulées et les nouvelles sont plutôt bonnes puisque Martin m’a informé lui-même que sa concentration s’était nettement améliorée. Ses parents m’ont confirmé que son comportement avait changé et qu’il n’éprouvait plus le besoin de gesticuler comme il le faisait avant.
Je ne saurais interpréter avec une précision absolue les mécanismes de ce changement mais je garde un souvenir ému de ces quatre séances que j’ai eu la chance de faire avec Martin et son extraordinaire imagination.
Avec son accord, j’ai photographié son oeuvre inconsciente que je vous livre telle quelle.

Juste bravo et merci pour ce formidable retour de séance… J ai adoré lire cet article… Je pensais même pouvoir lire un épisode 3…un grand merci
Merci Christelle ! L’épisode 3 s’écrira sans moi je pense, et tant mieux 🙂